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COVID-19

cinq mille caractères

1O textes de commande parus dans le journal La Semaine Vétérinaire de mars à juin 2020.

Un seule contrainte de l'éditeur : pas plus de 5000 caractères...

Te souviendras-tu ?

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Je ferme les yeux… j’essaye de me souvenir… Cela me revient, un peu… à peine. Je me souviens du sentiment frustre de l’épidémie que l’on ne maîtrise pas. Je me souviens de Gérard Larcher entendu dans la voiture, entre deux visites, demandant le maintien des élections municipales : de ses cours d’épidémiologie se souvient-il ?... Je me souviens de la recherche d’informations sérieuses glanées ici et là, de ces fakes déblatérés au plus haut du plateau de l’Aubrac. Je me souviens de la crédulité des clients sur les gestes barrières, des explications que j’en donnais. Je me souviens me sentir à ma place pour expliquer… Je ferme encore les yeux et je me souviens… ah oui, l’annonce du confinement. C’est un peu trouble mais je me souviens de la décision collective de notre équipe de ne plus recevoir plus d’une personne à la fois, d’imprimer toutes les recommandations et de les coller à la fenêtre, de compter les masques chirurgicaux, une boites et demie, peut-être deux… Plus possible d’en avoir en centrale. Je me souviens, mais cela est trouble, de la déferlante des gens pas encore vus, sans doute pas encore pris, venant chercher de l’aliment pour chiens, pour chats. Les consignes contradictoires, je ne m’en souviens plus. Ô combien aime-t-on la liberté quand tout va bien, ô combien aime-t-on la directive quand tout va mal : il en va d’elle comme d’une bouée, on s’y attache prêt à dériver, prêt à attendre d’être par l’autre sauvé. La bouée était de nous dire de fermer et d’assurer notre permanence de soin. Le bouchon pouvait flotter. Mais le mail de la DDCSPP est venu dégonfler la bouée : il fallait se souvenir que l’on devait avant tout nager… seuls, nager ! Je ferme un peu plus les yeux. Je me souviens d’une allocution présidentielle. Tout le monde allait être soutenu, personne n’allait y perdre. Une autre bouée économique si chère, bien cher. Comment tout cela pouvait-il être payé ? Je me souviens de la discussion entre tous, employés, ASV, vétérinaires associés ou salariés. Peu de mots pour savoir qui partait en congés garde d’enfants, qui allait travailler chez soi, qui restait. Je me souviendrai du mot bureaucrate entendu à la radio et qui raisonna en moi : bureaucrate, technocrate, voilà des mots datés… Je me souviens avoir susurré timidement le mot télécrate, celui qui peut télétravailler, fracture médicale et sociale… Je me souviens précisément de l’escabeau sur lequel il m’a fallu monter. Là, tout en haut, une petite boite en carton, poussiéreuse et l’onomatopée, ce ouais général car là était bien notre trésor, si peu de masques périmés.  L’influence de l’influenza. Les grippes exposent les soignants au regard des passants. Tout le monde se souvient, se souviendra de l’acronyme FFP2 mais personne ne se souvient de ce que veut dire FFP2. Je me souviens de l’ambulancier du village venu demander des protections pour lui, pour ses collègues parce que rien, décidément ils n’avaient rien. Il a bien fallu partager. Je me souviens de la nuit du 16 au 17 mars, de garde, les voitures roulaient sur l’autoroute ; autant de véhicules qu’une nuit du 4 août. Fallait-il que les franciliens voient en un confinement la fin de leurs privilèges ? Au moins celui d’avoir eux seuls de bons médecins ?... Je ferme encore les yeux. Je me souviens de sourire - très secrètement - un peu sous cape, un peu honteux : combien de veaux morts de détresse respiratoire ne m’avait-on pas reprocher moi qui n’avais dans mon coffre que si peu de thérapeutique ?... Je me souviens du gendarme qui arrêta ma collègue vétérinaire pour lui demander ses papiers en même temps que son caducée et pour lui dire qu’il regrettait que l’ovariectomie de sa chatte ait été repoussée. Je ne veux plus me souvenir de ce soir, dernière visite, une visite en extraction forcée par le propriétaire pour quelque chose de si peu d’importance et de ce chat posé dans sa boite ; devant moi, par terre parce que le propriétaire m’avouait en même temps que lui-même avait peut-être des premiers signes… Je m’en souviendrai… mais se souvenir, c’est savoir un peu… Ce jour, il faut prédire. Prédire, par définition, c’est savoir trop peu.

La photographie

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Cette fois-ci, le texte illustrera la photographie. L’image a une histoire, celle d’un dimanche de garde en temps de confinement. Drôle d’oxymore : la garde que d’aucuns appellent l’astreinte vous oblige à sortir, le confinement vous oblige à rentrer et les gendarmes avec votre caducée vous obligent à rien du tout. La garde de Pâques est donc calme et l’heure est donc à la tonte de l’herbe du jardin, herbe de printemps et fleurs des champs. La semaine a été à l’obsession de la protection comme complément des gestes barrières. Chacun y va de son invention. Pour notre part, nous avons mis notre ASV couveuse et couseuse au travail en lui transmettant le patron du masque tissu du CHU de Grenoble, en commandant du tissu vert de champ opératoire en Centrale et en condamnant un vieux pull en polaire pour en faire la couche intermédiaire. Le résultat est tip top et chacun fait sa commande. Un client sur deux vient maintenant en se couvrant bouche et nez, qui avec un masque chirurgical, qui avec un masque bricolé, qui avec un masque de bricolage, qui avec un foulard. Mais le masque n’est pas le geste barrière et certaines situations rendent le client intouchable. L’euthanasie des êtres chers en fait partie. Là, impossible d’obtenir la distance de sécurité salvatrice : les larmes coulent, le nez mouche, les bronchent toussent. Le corps à corps homme animal est complet dans le dernier élan de compagnonnage. « Vous pouvez y aller ! ». L’homme est plaqué contre son chien. Il n’a pas de masque et pour cause, il lui faudrait une gouttière. Mais la compassion est si forte pour ce compagnon. On fait le travail, en douceur. En absence de toute direction, tout le bon sens a du sens. Mais le masque, les mesures barrières ? Cela n’a pas de sens de perdre son bon sens ! La garde est calme. Elle est partagée à deux cabinets vétérinaires voisins. Visite du soir, le chien boite depuis  une demie heure. «Il faut le voir ? ». « Oui, il faut le voir ! ». Peut être mais ce n’est pas le cabinet vétérinaire habituel, il faut faire un quart d’heure de route supplémentaire. « Bon, cela attendra demain… » . Confinement et dérangement sont antithétiques de l’oxymore. La garde est calme et l’herbe pousse. La débroussailleuse ne veut pas démarrer. Les oiseaux profiteront du calme comme nous nous régalons du ciel bleu, sans les stries blanches des avions, sud nord, nord sud, ouest est, est ouest. Je sors ma vieille faux. Je l’aiguise et je fauche, je fauche, je fauche… Graminées, fleurs des champs… fauchées. Pas tout, pas toutes. Et la confusion, l’absence de protection, celle qui dépend tant des autres, l’appréhension, je fauche, j’attends les visites, j’en veux et n’en veux pas, je fauche, le confinement dit quoi quand on n’est pas confiné, je fauche, avoir la charge de l’euthanasie parce que, à 6 heures c’était l’heure et que j’avais bien insisté « on le sait quand c’est l’heure, il n’y a pas de doute », je fauche, la compréhension du sens rural de l’image de la mort, des contes anciens, livres à tranche rouge, lettrage d’or , la faucheuse, le temps qui passe et la mort qui fauche, je fauche, je pense l’image, comment entre chien et loup, la réaliser, je fauche, je fauche, je fauche… Cette fois ci, le texte illustrera la photographie car elle a un sens pour être regardée.

De l’Homme et de la bête et de l’Homme et de la distanciation sociale

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Quand il est question de luter contre la COVID-19, la distanciation sociale en constitue l’alpha et l’oméga. Soit donc un vétérinaire lambda, un peu beta, comptant sans doute pour epsilon, ne sentant un peu nu dans son eta, pi, kappa grande protection disponible mu qu’il est de se protéger, faisant phi de ne bouger d’un iota, il y a de quoi perdre son alphabet latin quand bien même serait-il grec. Plus dure est la peine de faire respecter cette fameuse distanciation sociale dans le cadre de notre activité quotidienne. Avouons que bises et serrages de paluches ont vite disparu de notre paysage familier et professionnel car sans doute, chacun y a vu un juste retour face à l’excès. Mais, malgré une légère surdité naissante me permettant d’en abuser quand elle m’est reprochée (faites redire plusieurs fois la même chose à celui ou celle qui vous reproche cette surdité et le reproche ne reviendra pas….), je ne m’étais jamais rendu compte combien l’Homo sapiens parle fort. Il projette de près son son loin alors même que le vétérinaire prodigue son soin long de près. Or, loin du son et près du corps, le postillon sort. Personnellement, j’en ai tiré un enseignement bien peu scientifique : faire taire et me taire ayant moi-même le postillon leste. Bien évidemment, j’applique le précepte après la phase d’expression à bonne distance qui me permet de collecter sèchement commémoratifs et anamnèse mais, aussi, d’emblée, de prendre une bonne distance et de la garder : distancer de prime abord pour bien distancier dans mes abords et pour ma prime. Mais, si se taire est finalement aisé, faire taire l’est moins car empiriquement dure est la tâche ! En effet, nos propriétaires mènent de front un symposium de la plus haute importance avec leurs animaux et continuent ardûment à postillonner sur le doux pelage de leur compagnon préféré : ils parlent, ils parlent, ils parlent… à leur animaux. L’attrait est dans une conversation passionnante car unilatérale avec un auditeur bestial que la sélection génétique a prédestiné à cet acte de grand partage entre l’homme et l’animal, celui du « je te parle et tu te tais » et dont dépend si ce n’est sa survie, en tous les cas son gîte et son couvert. Nous en devenons alors le témoin, ni sourd, ni aveugle mais muet et un peu mouillé ; l’acte de distanciation sociale ne s’opère plus. Ce constat tant félin que canin, peut-être hippiatre, est à modérer dans le cadre de l’activité rurale. J’en ai fait l’expérience du jour à travers une « matrice » de vache, mot englobant et maternel pour un acte somme toute très trivial. Ma joie fut grande de constater que l’animal à mon arrivée avait été placé dans un petit couloir de barres de contention dont je percevais d’emblée l’intérêt pour faire disposer l’éleveur et son fils de part et d’autre, les barrières tubulaires latérales constituant les remparts efficaces à maintenir cette fameuse distanciation sociale. C’était oublier l’aptitude première du père de jouer les ténors du barreau, criant et postillonnant de tout son plein pour raconter l’histoire, la grande, en long en large et en travers. J’en fus quitte pour demander d’une petite voix le silence pour m’acquitter de ma tâche, celle de repousser ce qui se voyait et ne devait pas se voir. J’en terminais par la pose de trois épingles de bouclement : je saurai être plus rapide la prochaine fois en donnant d’emblée pour objectif commun de la boucler ! Mais cette difficulté d’obtenir silence suppose sans doute d’oublier que le mot distanciation provient historiquement du théâtre, lieu où la bonne distance fait naître la catharsis mais où les acteurs se parlent si près et se postillonnent tant les uns sur les autres. En ces temps de confinement, la catharsis est là, je vous le dis. Théâtralement, je vous le crie…

Quand se mélangent clientèle, altérité et confinement

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Est-ce la fin ou est-ce le début ? En tous les cas, un basculement historique dans le sens où ce qui sera après ne sera plus comme avant. Mais avant cela ou plus exactement pendant cela, admettons que les deux mois de confinement, pour ceux qui n’étaient pas confinés, ont été placés sous l’égide de l'altérité, cette découverte de l'alter ego, très peu alter et beaucoup ego, de cet autre soi-même. La recette est simple : prendre un autre, le mélanger à soi-même, un peu comme une bouillabaisse avec pour recette la distanciation sociale. Le client, en son sens générique, constitue un excellent modèle, à souhait (ou pas) reproductible. Tout d’abord, bonne nouvelle pour la bonne santé de nos entreprises, on lui ferme la porte, il rentre par la fenêtre… et par tous les pores des fenêtres, celles de notre cabinet mais aussi celles de nos windows avec une explosion des messages sur nos téléphones mobiles : appels téléphoniques, photos, SMS. Ce n’est plus de la téléconsultation décrétée d’en haut mais de la télé-auto-auscultation affichée d’en bas : « la chienne met bas. J’ai la main dans l’utérus, c’est normal qu’il y ait un os ? ». Les clients sympathiques se sont sublimés en personnes adorables. Les pénibles se sont transcendés en ingérables. Et les discrets constituent très exactement la perte de notre chiffre d'affaires ! Les adorables nous ont fait la fête avec des petits mots sur l'enveloppe qui contenait le chèque, des affiches sur le portail de leur maison (comme quoi le geste barrière peut être beau), des mots gentils déposés dans les oreilles mais susurrés suffisamment fort pour compenser la distance de sécurité sanitaire. Les discrets souvent un peu àquoibonistes commencent à rappeler pour prendre rendez-vous à partir du 11 mai, voire même pour les plus extrémistes d’entre eux à appeler pour dire qu’ils rappelleront à partir du 11 mai pour prendre rendez-vous. Mais les plus spectaculaires restent les ingérables se divisant eux-mêmes en deux sous-catégories : les premiers, que l’on peut qualifier d’affabulateurs, ont parfaitement compris que le vétérinaire ne recevait que pour ce qui relevait de l'urgence. On ne compte plus les animaux au bord de la bradypepsie, de la dyspepsie, de l’apepsie, de la lientérie, de la dysenterie, de l’hydropisie, de l'apoplexie et qui pourtant nous ont fait la fête ; le chien de Molière était dans la cour. A l'inverse, les seconds, les agressifs, sont déchainés par le confinement qui par essence est là pour créer de la distance sociale, eux qui veulent en venir au contact alcoolisés, voire en venir aux mains non hydro-alcoolisées. Les adorables portent systématiquement des masques, les discrets attendent d'en avoir, les ingérables affabulateurs portent leur masque sur leur menton et les ingérables agressifs ne supportent pas les masques tellement ils postillonnent : cela leur revient dessus en boomerang. Aussi, pour rentrer dans leur monde, tel Alice au pays des merveilles, depuis quelques jours, nous avons reçu le plexiglas anti-crachotement qui permet de ne pas faire passer virus d’un monde à l’autre. Le constat est clair : au début, les clients cherchent à contourner le plexiglas comme pour le nier, puis l'acceptent en se plaçant devant et finissent par faire un petit pas en arrière comme si cette petite frontière ramenait aux gestes barrières. Voilà, de tout cela, ce n'est pas la fin, ce n'est que le début, nous sommes aux confins du déconfinement, c’est à dire au sens strict de notre limite commune. Et sous nos airs confinés, déglutissant nos postillons, nous sortons tous avec l'envie de changer d'air, de changer d’atmosphère. Mais nos clients ne l’acceptent pas et, comme Arletty dans Hôtel du Nord, ils semblent nous répéter à l’envi et sans masque : «  atmosphère, atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? ».

La révolution, évidemment !

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Dans la vie, chacun fait sa révolution. Avec le déconfinement, nous aurons eu la nôtre au sens où nous voilà revenus au point de départ : les animaux n’y ont vu que du feu, l’idée même que la maladie soit passée de l’animal à l’homme reste encore très abstraite, le concept one health qui aurait du surfer sur la vague est resté à l’état d’écume sur le récif, nos plannings se remplissent comme avant... Mais il demeure délicat de conclure : sommes nous encore dans le monde d’avant ou basculons nous dans le monde d’après ? En première approche, les choses ont changé. Précipitamment, notre salle d’attente s’est externalisée sous la pluie. Rapidement, je me suis fait au portage du masque mais l’objet, bizarrement disponible partout hors en centrales, rend gratuit et improductif tout sourire ; il empêche même de se reconnaître en ville au point que parfois, je l’abaisse négligemment pour me faire connaître. Elégamment et pour la première fois, un éleveur m’a accueilli en exploitation avec un masque en bec de canard – référence animale oblige - et je l’en ai remercié. Savamment, offrir une giclée de gel hydro-alcoolique devient un geste de politesse pour rompre toute barrière - plaisir d’offrir, joie de recevoir - et parler derrière un hygiaphone relève dorénavant du préambule amoureux. Subséquemment, se laver les mains dessine la fulgurance du geste artistique sous réserve qu’il soit académique, passant progressivement du tic au toc. Vainement, accueillir un client qui n’a pas pris rendez-vous par téléphone mettait jusqu’à présent de mauvaise humeur, aujourd’hui j’y vois légitimement un appel au meurtre à consommer sur place. Pragmatiquement, j’ai en projet d’équiper notre devanture d’un distributeur de préservatifs tant les enfants en consultation sont déconseillés. Naïvement, croiser de loin mais en fait de près un collègue sur son lieu de travail devient un acte de confiance absolue surtout quand on sait combien sa vie est dissolue. Quotidiennement, le matin, face au miroir qui en dit beaucoup trop, se coiffer fait rêver de la tondeuse de la salle de canine, voire de la salle de rurale ou plus modestement des ciseaux courbes à crins. Pragmatiquement, annoncer une positivité en coronavirus, en test rapide de diarrhée des veaux, demande de faire asseoir en préambule le client pour éviter de le voir léviter tel un funambule. Plaisamment, expliquer une maladie infectieuse virale devient aisé et les mesures de précaution compréhensives par nos interlocuteurs car nos clients ont reçu une véritable formation de virologie par moult experts médiatiques de la pitié, sale pétrin, hier. Eperdument, vivre au quotidien avec une pharmacienne de formation suppose de prendre plus de précautions (secteur salle, secteur propre, déshabillage, lavage, curage, habillage) à son retour de travail que de sortir de l’examen du cœur du réacteur de Fukushima. Prosaïquement, tousser dans la rue devient risqué physiquement sauf à préciser fugacement que l’on toussait déjà avant la mi-mars. Bref, assurément le monde d’après semble constitué d’un monde éphémère et un peu bâclé. J’avoue avoir trouvé nonchalamment la nature merveilleuse ce printemps, une nature apaisée et regrette bien que le confinement ne se soit pas déroulé pendant la période d’ouverture de la chasse. Mais au milieu de tout cela, des éléments plus profonds émergent : comment personnellement, modestement et avec humilité, construire un monde d’après corrigé des erreurs manifestes du monde d’avant ? Faut-il que seul le plexiglas sur la banque puisse demeurer ? Je fais ici la déclaration bien pensante de m’y atteler mais j’ai très peur que la facilité ne prévale sur la nécessité et que l’aveuglement ne terrasse la contingence. J’ai fait ma révolution, certes, mon tour sur moi-même et le constat est troublant au milieu de tant de chambardements : ma révolution fut de pacotille. J’en suis déjà pourtant sensiblement, abominablement, excessivement tellement épuisé.

Sans interdit ou sens interdit ?

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Il existe dans ma bibliothèque des dictionnaires que j’affectionne dont deux classés visuels qui nomment les choses soit à partir de dessins soit à partir de photographies. J’y retrouve un plaisir enfantin de découverte de mots techniques improbables, de mots de mécanique, de mots d’architecture, de mots de botanique, avec le doux sentiment d’être dans une salle de classe, entouré de grandes affiches de leçons de choses, de jouir du pouvoir fabuleux du bien nommer car « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». J’ai conscience que ce pouvoir n’est que celui de la représentation sociale. Futile, il est d’une extrême fragilité et doit se manier avec parcimonie : distiller un mot au coin d’une phrase comme une goutte d’huile essentielle ; instiller un vocable technique avec fourberie pour laisser votre interlocuteur supputer que vous êtes connaisseur de la matière. La sémantique, foncièrement plus profonde, plus abrupte, plus intime, relève d’un savoir intense, aigu et pénétrant mais ne contient pas ce pétillement festif et convivial. Citer le dictionnaire des médicaments vétérinaires en parangon éditorial ferait plaisir à notre éditeur mais l’ouvrage séjourne à demeure au cabinet vétérinaire et j’avoue privilégier la forme numérique qui est à l’efficacité ce que le papier est au plaisir. Non, mon autre dictionnaire de chevet reste le fabuleux dictionnaire historique de la langue française. Face à la page blanche, océan imprévisible et impétueux, ce dictionnaire est ma piscine : l’eau y est à bonne température, j’y ai pied et un maître nageur est mon professeur. L’histoire de l’usage d’un mot dit beaucoup sur le monde comme il était et donc le monde comme il va. Je recommande à tout curieux de bonne espèce de se plonger avec délectation sur la double page « médecine et chirurgie : deux vocabulaires typiques ». La langue médiévale médicale et religieuse donc latine des médecins s’y oppose à la langue française de culture arabiste des chirurgiens laïcs de l’école de Montpellier plus près de la trivialité des corps. C’est ainsi que j’ai pu lire dans cet ouvrage qu’interdire supposait au 17ième siècle « jeter quelqu’un dans un trouble l’empêchant d’agir ». J’en restais interdit. Ce n’est pas éloigné de ce qu’ont vécu les vétérinaires lors de l’émotion du confinement : chacun d’entre nous, sidéré, s’est  retourné vers ce qui est interdit ou autorisé, cherchant là un graal, le transformant immédiatement en épée de Damoclès.  « Qu’a-t-on le droit de faire », telle était la question. « Qu’a mon voisin de clientèle – ma voisine -  le droit de faire », tel était le questionnement, la différence n’étant pas seulement une question de genre. Nos instances professionnelles avaient beau jeu de recentrer le débat sur la notion de recommandation, se réfugiant derrière le simple avis, le docte conseil. Le trouble fut asséné créant en chaîne et en conséquence l’impossibilité pour certains d’agir : le mal était fait, la clameur publique reconnaissait l’interdiction. Tout autant troublant, dans une identique réalité, le temps du déconfinement bloque nos clients qui viennent dans notre cabinet vétérinaire. Sur notre devanture de porte, nous rappelons à l’aide de dessins et de logos notre procédure d’accueil et les gestes barrières. La pédagogie nous oblige à redonner les règles du jeu par oral. Nous pensons être nous aussi dans la recommandation, la bienveillance, jusqu’à donner – peut-être vendre - un masque à ceux qui en sont dépourvus. Mais le quidam, libre, ne s’habitue pas à rentrer dans une procédure contrainte. En tout point, elle le trouble jusqu’à l’empêcher d’agir, jusqu’à tendre une corde, la voir rompre et n’y voir qu’un interdit. Il tombe dans le panneau du sens interdit. Ça cogne. Décidément, il devrait être interdit de se croire interdit et ce mois de mai 2020 nous rappelle le charme des slogans de 68 : « il est interdit d’interdire », « cours camarade, le vieux monde est derrière toi », « soyez réaliste demandez l’impossible », « je ne veux pas perdre ma vie à la gagner »… A l’époque, la virulence était dans la critique. Un peu plus de 50 ans plus tard, c’est la virulence du virus qui rend la situation critique.

Surréel est notre réel 

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On parle de certaines chansons obsédantes comme de vers d’oreille, des mélodies dont le souvenir entête. Les peintures de Magritte relèvent du même processus visuel : elles laissent un souvenir obnubilant et accaparant. On sait d’elles qu’elles sont surréalistes, adjectif singulier mis au pluriel que notre sens commun utilise sans trop le placer dans l’histoire de l’art, notre formation nous plaçant plus près d’Arago que d’Aragon. Beaucoup de ces peintures du maître de l’absurde évoquent des paysages et plusieurs représentent des fenêtres. Or, quel plus bel objet symbolique que la fenêtre pour parler du déconfinement post COVID19 ! Tout n’est pourtant pas simple car quand Magritte représente une fenêtre, il nomme l’œuvre par deux fois la condition humaine. Notre métier de vétérinaire nous offrirait-il une fenêtre sur le monde à la manière de Magritte, un regard sur la condition humaine ? En tous les cas, il nous permet de voir un paysage complexe plein d’énigmes, qui offre un point de vue fixe sur un monde trop plein d’un sentiment d’incompréhension, de quelque chose qui ne tourne par rond, une incohérence généralisée nous plongeant tout à la fois dans l’onirisme et dans l’incrédulité. Prenons ce qui nous est donné à voir à travers le prisme des masques chirurgicaux (maintenant masques grand public) et de leur disponibilité. C’est ainsi que début mars, il n’était plus possible d’en commander en centrale et nous étions confrontés à une indisponibilité voire même un appel des professionnels de santé à faire table rase des stocks vétérinaires. Puis ce fut la communication gouvernementale excluant la nécessité du masque tant que l’on suivait les gestes barrières, gestes barrières dont nos instances officielles nous faisaient recommandation. Vinrent alors le temps de la carence, des tutoriels pour réaliser des masques à partir d’une serviette de table en papier, des vols et cambriolages de pharmacies et du scandale dénoncé par les médias du manque de masques, de l’incurie de l’état, du mouvement social de l’industrie du textile pour produire des masques de substitution, de leurs tests au ministère de la Défense, de l’impossibilité pour chacun de disposer de ce sésame sanitaire, la caverne d’Ali Baba en guise de nouvelle centrale ! Puis le système D a basculé le jour J : l’objet est revenu, patiemment, prudemment, au point d’être avant le 11 mai distribué systématiquement à l’ensemble des habitants par les mairies, par les départements, par les régions, par les pompes à essence et ultime dénouement, par nos centrales. La première semaine qui s’en suivait, le geste se mêlait à la parole crachotante et nos clients le portaient sans rechigner pour venir dans le cabinet.  Mais avouons que son port n’est pas des plus agréables : un bout de tissu tenu pas deux élastiques à pyjama ne s’affiche pas comme l’étoffe des héros, il éreinte la diction, il atténue la compréhension, il coupe la respiration et rend anonyme l’être le plus cher. On comprend que le masque vénitien couvre le haut du visage plutôt que le bas et demain j’enlève le bas ! Conséquence, il n’a pas fallu attendre longtemps ; la deuxième semaine du déconfinement, l’usage s’est relâché et la population a commencé à bouder comme un enfant boude son cadeau de Noël tant voulu, tant quémandé, tant venté par les promoteurs publicitaires, par les spécialistes es media. Nous avons vu de plus en plus nos clients tenter le coup, rentrer sans masque,  ultime acte de déraison, rébellion extrême contre les valeurs reçues, attitude que je dirais surréaliste, geste qui en deviendrait artistique car performatif. Alors prenons le temps de regarder, chacun d’entre nous, à travers nos modestes fenêtres quand bien même serait-elles professionnelles. Prenons ce que l’on voit comme des œuvres d’art dénuées peut-être d’une raison simple à comprendre, témoin d’un monde surréaliste en mutation. L’artiste dit le monde, ne l’explique pas et retenons bien le titre de l’œuvre : la condition humaine. Avant d’être surréaliste, l’art vétérinaire est avant tout un bon dada.

Changer d’air

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Premier week-end de juin. Nous voilà autorisés à voyager. Trois mois plus tôt, rats des villes parisiens devenaient rats des champs pour un confinement en télétravail. Trois mois plus tard, déconfinement oblige, rats des champs lozériens pouvaient bien devenir rats des villes le temps d’un jour ou deux : fi du plaisir que la crainte peut corrompre. L’idée, outre de se retrouver avec des proches éloignés, est bien de changer d’air, de penser à autre chose que ce qui nous a accaparé pendant trois mois, de ne plus en parler, d’oublier, d’enterrer, de ne plus poser la question du masculin ou du féminin de l’acronyme COVID. « Liliane, fais les bagages », le programme se révèle bien commun pour ces deux jours. Première impression : que s’est il passé comme tremblement de terre pour obtenir en trois mois un tel degré d’acceptation sociale ? Citons en vrac : une population fortement masquée, des files d’attente dociles de vingt à trente mètres, régulées par des vigiles alcoolisants devant les magasins, des banderoles en entrée de rue rappelant les gestes barrières et l’obligation de port du masque, des musées fermés annonçant leur réouverture, des échoppes fermées annonçant la non réouverture, des marchés filtrés avec port du masque obligatoire, toutes sortes de signalétiques au mur, au sol, dans les airs, d’indications de sens, d’entrée ici, de sortie là, de déclarations fourbes « vous nous avez manqué », de définition de procédures, d’explications d’une société devenue hygiéniste par obligation. Pasteur l’a voulu, un virus l’a fait. Mais cela n’est pas sans perturber. Drolatique est la situation d’inverser les rôles : voilà trois mois que, en professionnels, nous donnons les consignes semble-t-il simples, essayant de maîtriser une chaine de soins, tentant de réguler un flux basique qui nous paraît contrôlable à travers une logique implacable, indiscutable et pourtant discutée. Et puis d’un coup, parce que dans la rue, le point de vue n’est plus le même, la perspective devient celle de nos clients : mettre ou ne pas mettre le masque, sommes-nous obligés ou invités à le faire ? Chacun y va de son style, masque papier, masque tissu, tissu neutre, tissu imprimé, porté au dessus du nez voire en dessous du nez ou même sous le menton, de son look, de la matière, de son absence. Que faire de son masque entre deux obligations : le garder en place, ne pas être souillon du sol, le mettre en vrac dans un sac, regarder septique l’objet antiseptique au milieu d’un fatras septique ? Comment le plier en origami dans une poche, laquelle, ne pas perdre la face, laquelle, discuter avec les siens quel côté mettre côté bouche, côté bleu ou côté blanc, s’y tenir, trouver une manière alternative de le stocker en glissant par exemple les élastiques le long du bras et enfin, enfin seulement, profiter de longues déambulations à travers des parcs et jardins un peu plus laissés non à l’oubli mais à l’ensauvagement pour s’ensauvager soi-même. Oui, de la rue, la perspective n’est pas la même : nous passons brutalement d’une réflexion froide et technique issue de notre légitimité médicale, à une somme de consignes, signes d’un mouvement brownien, de logiques établies sur un seul principe avec des résultats divergents. Changer de point de vue pousse à la modestie et ce qui paraît simple depuis nos salles de consultation, l’est beaucoup moins quand on devient une fourmi sociale parmi les fourmis sociales, quand il faut adapter son attitude à la multiplicité des messages dont un principal : que l’activité reprenne, pas la virulence ! L’effet a plus d’écho encore quand l’ultra ruralité vous a tenu éloigné des exagérations obligatoires du cœur de la ville et de ses artères, quand votre campagne ne change jamais, absorbe tout et continue son rythme immuable, le cœur en bradycardie. Plus loin, les villes vivent de fièvre, d’arythmie et de tachycardie, de cardiomégalie, de cyanose et d’embolies, de fulguration et d’hypertension. Oui, pendant deux jours, il n’a plus été question de COVID mais pourtant, même en dehors de notre vie professionnelle, il n’est question que de cela ! En sortant, nous ne faisons que de changer de point de vue alors que nous espérions changer de perspective, trouver un point de fuite. Pour l’instant, le dessin demeure triste de se cacher la mine.

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Il n’est pas forcément de bon ton en société d’avouer que votre lecture d’un roman policier commence toujours par les dernières pages pour connaître en tout premier lieu le coupable. Je peux l’en attester. Ce non respect de la règle du jeu vous vaut la moquerie généralisée et systématique. On veut du lecteur qu’il soit discipliné, qu’il lise - sauf à calligraphier le mandarin - de gauche à droite, de haut en bas, et qu’il tourne la page une fois seulement son devoir de liseur accompli. Maintenant que nos bas de laine se sont effilés en avril (…ne te découvre pas d’un fil), la métaphore livresque peut être filée en ces temps d’épidémie maîtrisée : avouons que nous aurions souhaiter connaître la fin de cet épisode pandémique sans même en avoir connu le début. En aparté, notons par ironie en cette période de désordre généralisé, qu’à la question « que maîtrise-t-on ? », le politique répond l’épidémie et uniquement l’épidémie avec en ligne de mire bien plus la conjoncture économique que la conjecture scientifique encore bien dans l’expectative. Nous sommes tel est le capitaine Haddock qui, après avoir annoncé des vaguelettes, prédit le tsunami, craint des vagues en réplique, ose au final parler de mer d’huile : « maintenant, c’est plat, je maîtrise ». Dans les faits, tintin ! Mais revenons à notre lecture du comic-book : cette attitude de vouloir connaître la fin pour pouvoir juger du début est très courante quand il est question de faire société. Concernant la COVID, à connaître le dénouement, l’écriture de la préface nous paraîtrait d’une élémentaire facilité. La microsociété que nous construisons avec nos clients est traversée du même fantasme qui fait confondre pronostic médical et divination existentielle : les colloques avec nos clients ne sont pas les mêmes selon que le dénouement médical soit connu ou ignoré. Voilà ce qui en font de riches sujets de conversations de café du commerce, de quoi remplacer fort avantageusement la météorologie qui a le mérite d’avoir des prédictions faciles à consulter. Grâce au ciel, elles se révèlent également parfois faussées. Je me souviens rêver à l’époque de l’alerte tsunami de la COVID-19 de l’objectif très personnel des vacances estivales priant la destinée en but ultime de laisser mes proches éloignés de ce fléau pandémique, cet objectif étant bien au delà de notre survie économique. Nous partions en guerre, la fleur aux bouts du fusil, insouciants des difficultés, confiants dans la victoire. Je rêvais d’un roman de gare : peu de pages, 12 €, couverture souple, caractères massifs pour malvoyants. Je découvre aujourd’hui que nous sommes plongés dans un roman moderne car dystopique. Chacun voulait faire court et nous feuilletonnons tous. Professionnellement, nous nous réveillons avec un nouveau concept de télémédecine avec la peur en vétérinaire rural de voir disparaître l’équilibre de nos structures, qu’à la fin, Gaston, y a l’téléphon qui son et y a person qui y répond. Car cette mesure nous est arrivée par enchantement en plein confinement, alors que nous assurions la pérennité de nos soins. En récompense, on nous parle aujourd’hui de lutte contre la désertification médicale vétérinaire via des plateformes de visioconférences en guise de plateau technique. Il n’y a que des vaches sur mon plateau. Qui avait compris que la distanciation sociale passerait si brutalement du mètre aux 500 kilomètres ? La mesure sans demi mesure est à l’essai mais déjà dans les couloirs, les portes claquent, les chaises se vident, les masques tombent. Comme dirait la Comédie Française encore interdite de représentation : la comédie continue. Le roman de nos vies, finalement très théâtral, se poursuit sans que nous en connaissions le dénouement à part celui de notre propre mort difficile à déguster. Nous n’avons d’autre choix que de continuer la lecture de ce roman mais je regrette toujours de ne pouvoir en feuilleter goulûment les dernières pages. Une seule alternative, tourner au lever du matin la page jugée comme insipide, en commencer une nouvelle en la concevant comme incipit. Par exemple et au hasard : longtemps, je me suis couché de bonne heure…

Une conclusion injectée de chair et de sang

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« Il vous reste 5 minutes pour conclure ». Nous avons tous en souvenir ces épreuves de composition française. Nous nous décomposions à savoir le temps limité. Notre conclusion devait être celle de l’ouverture, de l’élargissement de notre réflexion. Il en est de même ce jour, il me faut mettre un point vétérinaire conclusif à mon expérience COVID. Un peu par esprit de contradiction, j’ai bien envie de rapetisser mon propos, de l’enrouler, de le centrer sur nos nombrils, objets secrets d’intérêt universel : la question intime donc importante que tout le monde se pose n’est elle pas celle de l’Homme qui a vu la bête qui a vu l’Homme, celle de notre propre contamination au SARS-CoV-2 ? Depuis six mois, n’avons-nous pas eu suite à une attitude sanitaire douteuse, qui une pharyngite douloureuse nous laissant sans voix, qui une toux rebelle faisant de nous l’indigne interprète de musique répétitive, qui un pic fébrile d’allure théâtral, qui une phase d’entérite nous liquéfiant sur place, qui une anosmie ou une agueusie conditions sine qua non du statut de victime ? Adepte d’un journalisme d’immersion et pour conclure avant l’été, je me rendais sans prescription médicale au laboratoire de biologie d’humaine. Je piquais d’abord au vif ma pharmacienne en expliquant le motif de ma visite : venir pour écrire un papier, en gros donner pour recevoir. Sous son masque, je devinais un rictus un peu exaspéré par ce geste gratuit car payant non remboursé qui me valut un retour condescendant « et bien sûr, vous voudriez être positif ! » J’expliquais alors ma démarche, sûr de mon raisonnement : penser que chacun avait bien reconnu depuis six mois les signes distinctifs de la pandémie aussi salvateurs pour des vacances débridées, sans masque, que marqueurs d’un passé révolu : « cela revient très rarement positif. Il faut vraiment avoir été très malade ». Dépité, j’en revenais alors sur mon idée première : ces signes-là n’étaient pas que l’expression du corps exultant, un commun saisonnier aussi annuel que répétitif. « Mais il y en a eu beaucoup plus cette année ». Faudrait-il en conclure que chacun n’a eu de cesse ce printemps de faire état de ses émonctoires, expression physiologique d’un constat de vie et non de mort ? Décidément, vous pouvez habitez la partie charnue peu recommandable de l’anatomie du monde, tout vous fait remonter au nombril, chacun s’auto-auscultant en nouveau diplômé de médecine de la faculté des réseaux sociaux ! Dès lors, une fois fait mon petit don rouge en deux tubes jaunes, j’en fus quitte pour l’attente, le temps d’imaginer ce que cette posture faisait de moi. Car quid d’un résultat positif ? Outre qu’il me plaçait de concert à l’égal du bachelier moyen toute l’année, mention très bien le jour des résultats, il me campait sauvagement au pied du mur de mes responsabilités : oui, j’avais bien eu quelques prodromes ambigus mais ces derniers ne m’avaient pas empêché de continuer à travailler, ne m’avaient pas en leur temps assujetti au port du masque, ne prohibaient pas ma vie familiale. Bref, je ne m’étais pas mis à l’isolement confondant abstinence héroïque et présence prosaïque. Brutalement, je concevais avec culpabilité la bivalence de mon espoir, celui d’être séropositif, percevant le poids du verre à moitié plein de ne plus rien craindre et du verre à moitié vide d’avoir été ce traitre, transmetteur coupable et maintenant délateur cupide. Je comprenais que la question de ma séropositivité relevait bien d’une conclusion : elle était une ouverture tant sur le passé que sur le futur et me rappelait que mon nombril interagissait en permanence avec d’autres nombrils. Ma responsabilité devenait plus complexe à porter en vrai qu’à la mettre en scène par un peu d’encre sur du papier. J’ai lu mes résultats sur écran au bord d’un lac d’altitude, en 3G et pas en 4, à deux jets de pierre du bonheur. A celle qui était à côté de moi et disait « alors ? », j’ai répondu en ric hochet et par onomatopée un ouais satisfait. Et maintenant ? C’est repos ou séropo ?...

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